Différence de texture, différence de nature?

Le gazon est le titre d'un des lieux communs de Serge Bouchard et de Bernard Arcan, anthropologues québécois. La pelouse est une marque du passage des Hommes, nous avons policé cette parcelle de nature verdoyante jusqu'à ne plus avoir un brin ni plus long ni plus vert que les autres. «En d'autres termes, le gigantesque effort de civilisation se résume à cet objectif unique: pouvoir déjeûner sur l'herbe sans crainte de vous y enfoncer, sans déchirer votre crinoline, sans même avoir à défendre la propriété de votre sandwich au pâté contre la convoitise d'un grizzly mal léché. L'être qui jadis chassait l'aurochs et l'éléphant n'a plus rien à combattre aujourd'hui, sinon les colonies de fourmis.» La guimauve pour sa part exprime aussi la même tension nature/culture. La petite fleur mauve n'est plus la première chose venant à l'esprit de plusieurs en disant «guimauve». C'est la pâte molle, blanche, sucrée et ouatée qui occupe soudainement tout notre esprit. Comme quoi, nous, les humains, sommes capables de beaucoup de choses!

samedi 25 novembre 2006

Babel

J'ai fait un retour au cinéma, hier soir. Depuis quelques temps, j'ai mis de côté les sorties cinoches, je ne m'était pas rendu au cinéma depuis le mois de septembre pour voir le film Chris Crash par le cinéastre acadien Christien LeBlanc lors du Festival international du cinéma francophone en Acadie (FICFA). Avant cela, ma présence au cinéma remonte à une présentation matinale, au cinéma Exentris, de la Guerre des tuques, l'hiver dernier!

Il y a quelques petites choses avec le cinéma (le lieu et non l'art) qui m'enlève l'envie d'y aller : le prix d'un billet, le coût du popcorn, l'ambiance de foire foraine permanente rendu par le décor, les lumières, la publicité...

Avec des amis, hier soir, nous avons tout de même opté pour un sortie aux vues (flûte, c'était la Journée sans achat). Nous avons choisi d'aller voir le film Babel, recommandé par leur coloc. Nous croyions aller voir un film historique sur la Mésopotamie ancienne. Probablement parce que Brad Pitt était à l'affiche et qu'il a aussi joué le rôle d'Achile dans Troie, mais il n'en était rien du tout.

J'ai grandement apprécié ma soirée cinéma , cette fois l'art et non le lieu.
Quand la culture de masse rencontre l'anthropologie!

Babel est très loin de ce à quoi je m'attendais. Il y a la distance de l'histoire qui sépare l'image que ce titre évoquait chez-moi et ce qu'il en est réellement. De Nabuchodonosor et l'épopée de Guilgamesh, nous avons vite plongé dans une histoire hautement moderne et marquée de contemporanéité. Avec la globalisation en filigrane, la trame de Babel est multi-site (Maroc, USA, Mexique et Japon), et montre un cas particulier où se rencontre les ethnoscapes, les financescapes, les médiascapes et les technoscapes définis par A. Appadurai (auteur que je suis en train de lire). Ces -scapes sont, dans l'ordre, des flux de personnes, d'argent, d'images et de technologie. Ces «paysages» définissent une nouvelle modernité par la complexité de leurs relations.

Ce film mettant en vedette Brad Pitt et Cate Blanchette m'a rappellé un peu l'ambiance du film Traffic. Avec une image quelque peu granuleuse rappellant le documentaire, Babel passe par le biais d'une arme pour représenter l'éclatement des frontières traditionnelles et par un bus de touristes occidentaux au Maroc pour nous montrer qu'elles sont nos représentations de la localité. De plus, les médias y jouent le rôle de nivelateur de frontières et l'enquête policière, celui de la disjonction entre l'État et la société.

Fascinant... Mais si, loin est de vous l'envie de sortir au cinéma pour aiguiser votre regard socio-anthropologique, le film en vaut aussi vraiment la peine. Les émotions qui transpercent l'écran valent le déplacement.